Interview du chef Aulus Muniz Santos, vice-champion de France de Sushi 2024, à La Réunion !
Le chef Aulus Muniz Santos, vice-champion de France de Sushi 2024 vit et travaille à La Réunion ! C’est au Tampon, sur les hauteurs de Saint-Pierre, que PARI PARI l’a rencontré début janvier. Dans l’écrin verdoyant du Hope & Mind Café, il a répondu à nos questions :
Vous habitez et travaillez à La Réunion depuis sept ans. Mais d’où venez-vous ?
Je suis né à São Paulo, au Brésil, et j’ai aujourd’hui 31 ans. J’avais deux ans quand ma mère s’est mariée avec un Brésilien d’origine japonaise, de troisième génération. C’est au Brésil que l’on trouve la plus grande communauté d’origine japonaise en dehors du Japon (1). J’ai donc grandi dans un milieu où, grâce à mon beau-père, la culture nippone était très présente.
Est-ce ce qui a déterminé votre choix de devenir chef sushi ?
Pas tout à fait, même si j’ai très tôt su que je voulais travailler dans la gastronomie. J’ai fait une école d’hôtellerie-restauration à São Paulo. Je me suis essayé à la cuisine traditionnelle, mais sans grande appétence. Puis j’ai postulé dans un restaurant japonais. J’étais en cuisine chaude. Le chef sushi est tombé malade. Johnny Keep, qui m’avait embauché et était l’un des associés du Mysth Sushi, m’a demandé de le remplacer au pied levé. C’est vraiment lui qui m’a mis le pied à l’étrier. En 2013, il m’a fait venir en France, à Cannes, pour travailler avec lui au Sushikan. J’y suis resté deux ans et demie. Puis je suis parti en Guyane française, pour l’ouverture du bar à sushi du Royal Amazonia, à Cayenne, un hôtel quatre étoiles. S’en sont suivis six mois au Fuji Sushi, à Fort-de-France, en Martinique. J’y ai fait la connaissance du chef Eliel Dias Dos Santos, lui aussi d’origine brésilienne, avec qui je me suis retrouvé en mars dernier sur le podium (2) ! Enfin, j’ai été recruté en 2018 pour être le chef du Kampai Sushi Bar à Saint-Pierre, à La Réunion. J’en suis devenu le gérant associé en 2021. En juillet dernier, j’ai quitté le Kampai Sushi Bar pour devenir chef à domicile et préparer mon nouveau projet…
Suspense… En attendant, comment qualifieriez-vous vos sushi ?
Mes sushi sont respectueux de la tradition de l’edomae, mais je suis brésilien, et j’ai vécu dans un milieu japonais. Je pratique ce qu’on appelle la cuisine Nikkei, issue du métissage des cultures culinaires péruviennes (3) et japonaises qui ont fusionné en jouant sur la puissance des assaisonnements et la subtilité du cru, comme dans le ceviche. Je propose, par exemple, du sashimi de saumon au leche de tigre et coriandre. Le leche de tigre est une marinade à base de fumet de poisson, d’herbes, de p’tit piment réunionnais, de citron ou de yuzu. J’agrémente mes plats de fleurs comestibles, comme celles du basilic, que cultivent ma belle-sœur dans son jardin. J’utilise un maximum de produits locaux comme le Caviar de Bourbon élaboré par Max Dyckerhoff, à L’Étang-Salé, et bien sûr les poissons pêchés sur le littoral : daurade, bonite, espadon, anguille, merlin, oursin, poulpe… Les petits concombres « péi », très croquants, sont délicieux en sunomono.
Et que proposez-vous aujourd’hui à celles et ceux qui font appel à vos services en tant que chef à domicile ?
Je leur propose une expérience culinaire unique, chez eux, une immersion totale dans la cuisine japonaise et nikkei. Le menu « Omakase » qui repose sur la confiance faite au chef, à ses choix, et au désir des convives de se laisser surprendre, est conçu dans les règles de l’art, avec des ingrédients de qualité, et une grande part de créativité. J’attache aussi beaucoup d’importance à la vaisselle, à la mise en scène du dîner. C’est un véritable voyage gustatif, dans le respect des traditions et des saisons, adapté, bien sûr, aux envies et au budget des convives.
Et l’an dernier, le 14 mars, vous montiez sur la deuxième marche du podium à l’issue de la 7e édition du Championnat de France de Sushi, Porte de Versailles, à Paris. Comment avez-vous eu l’idée de participer au Championnat et que représente pour vous cette distinction ?
J’avais entendu parler du Championnat par un client du Kampai. J’ai alors contacté plusieurs champions et vice-champions de France, pour me renseigner. Marie Seguin, vice-championne de France 2022, m’a très gentiment répondu et encouragé. J’ai tenté ma chance une première fois en 2023, et j’ai remporté le Prix du jury, ce qui était de bon augure et m’a donné envie de concourir de nouveau. Grâce à ce titre de vice-champion de France, j’ai davantage confiance en moi et j’ai acquis une certaine visibilité, tout au moins à La Réunion, via les médias locaux. Je suis motivé, et j’ai envie de voir plus grand !
Quels conseils donneriez-vous aux futurs concurrents du Championnat de France qui se déroulera cette année le 2 avril à Paris ?
Il faut rester humbles, échanger avec les concurrents. Bien connaître le règlement, j’insiste ! Savoir ce qu’on attend de vous. Connaître ses points forts, travailler ses points faibles et tout mettre en œuvre pour obtenir un prix. On est confronté aux meilleurs et c’est l’occasion de découvrir son propre niveau. Le sasagiri, qu’est la découpe décorative d’une feuille de bambou, est très important, ainsi que la confection de nigiri selon la méthode traditionnelle edomae, ou de kazarimaki (makis décoratifs). Pour l’épreuve signature, j’ai utilisé du combava, l’agrume phare et si parfumé de La Réunion. C’est un effort énorme de se préparer au Championnat et un gros investissement. Il nous faut plus de 10 heures d’avion pour rejoindre Paris. Mais ça vaut vraiment la peine !
Et qu’est-ce que La Réunion a à dire à la Métropole en matière de sushi ?
Il n’y a pas que les chefs japonais qui peuvent faire de bons sushi. La Réunion est multiculturelle. Les chefs locaux ont leurs propres racines, leurs spécificités et aussi leurs produits de prédilection. Le Championnat de France permet aussi de révéler le talent des chefs sushi d’Outre-mer. Même le Guide Michelin ne vient pas jusqu’à nous. Alors c’est à nous de franchir les 10 000 km qui nous séparent de la Métropole pour aller participer au Championnat !
- Beaucoup de Japonais émigrent au Brésil à la fin du 19e siècle. Le début de l’ère Meiji (1868) marque l’ouverture du Japon sur le monde occidental, entraînant la signature de traités commerciaux et le départ de travailleurs japonais vers l’extérieur. La politique migratoire du Japon a aussi pour objectif de soulager les tensions sociales internes dues à la pauvreté dans les campagnes. Au Brésil, l’abolition de l’esclavage en 1888 entraîne un manque de main d’œuvre, que viennent combler ces immigrés.
- Le chef Eliel Dias Dos Santos a obtenu la troisième place lors du Championnat de France de Sushi 2024.
- Plusieurs centaines de Japonais arrivent au Pérou en 1889, pour travailler dans les champs de canne à sucre. Certains ne s’habituent pas aux dures conditions de travail et partent à Lima où ils ouvrent des restaurants, mêlant techniques et produits de leurs pays d’origine et d’adoption. Ainsi est née la cuisine Nikkei dont Nobuyuki Matsuhisa, dit « Nobu », est le chef le plus célèbre. Arrivé au Pérou dans les années 70, il a réussi à exporter la cuisine Nikkei dans le monde entier.
Photo n.2 : Nigiri ika/seiche.
@chef.aulus
@championnatfrancesushi
Texte et photo n.1 : Sophie Gallé-Soas