GYOTAKU, Luc Legendre, la passion de l’empreinte
La grande surprise, tout d’abord, c’est de rencontrer Luc Legendre, que l’on connaît sous la griffe « BZH Gyotaku », à La Réunion ! On le croyait en Bretagne, sa terre natale, et non au pied d’un gigantesque volcan, en plein Océan indien. C’est là qu’il s’est établi, avec son épouse, en 2021. Auparavant, il était à Rennes, où il a travaillé comme chef, pendant 12 ans, dans son propre restaurant, puis il est devenu formateur à la Faculté des métiers de Ker Lann (Ile-et-Vilaine). C’est par le biais de la littérature et de la cuisine japonaise, qu’il a découvert le Gyotaku. Cette pratique japonaise ancestrale de l’empreinte (taku) d’un poisson (gyo) fraîchement pêché, afin de conserver sa trace, est venue étayer sa philosophie et enrichir son univers culinaire.
On ne sait à quand remontent les premiers gyotaku. Il suffisait d’un peu d’encre de seiche et de papier pour reproduire, au fond d’une barque, parfois grossièrement, sans effets, mais avec fidélité, un poisson tout juste sorti de l’eau. Les pêcheurs japonais ajoutaient les mensurations et le poids de leur proie, le lieu de la capture et souvent un petit poème, avant d’apposer leur signature. Un mode d’expression étroitement lié à la culture japonaise, au respect et à la gratitude du pêcheur envers la générosité de la mer. Parfois, l’empreinte d’une algue complétait le tableau.
Luc Legendre a fait sienne cette technique qu’il ne pratique ni dans un atelier d’artiste ni sur un bateau, mais dans les cuisines de restaurants ou du centre de formation qu’il gère au Chaudron. C’est en effet dans ce quartier populaire de Saint-Denis, chef-lieu de La Réunion, ce quartier dit « prioritaire », qu’il œuvre chaque jour au sein de L’ALIE 974, cette Association locale d’insertion par l’économique (bâtiment, menuiserie, horticulture…) dont il a créé la branche cuisine.
Luc Legendre intègre dans la pratique de cet art du Gyotaku la connaissance du poisson dont il conserve la trace. Cette empreinte à l’encre de seiche – matière organique et purement alimentaire – sur « papier Kozo » (à base de fibres de mûrier), il la réalise de la façon la plus vertueuse possible, sachant qu’ensuite il cuisine le poisson et le propose aux clients, par exemple lors de « Gyotaku Art Dinners » avec ses confrères chefs cuisiniers dans leur établissement.
Passer des côtes bretonnes à celles de l’île de La Réunion, c’est aussi explorer les espèces marines locales : le béryx, le vivaneau, le mérou, la castagnole, la dorade coryphène, les sardines « Péi »… Il lui arrive de réaliser l’empreinte de crevettes au rouge cochenille. Ces petits bancs de poissons frétillants sur papier, sont du plus bel effet. L’œil – le seul élément redessiné ensuite – est vif et attendrissant. Parfois, il nous fixe aussi, plus douloureusement, et nous prend à témoin… Les Gyotaku ne sont aucunement des trophées de chasse mais, dans le contexte actuel, ils ont, pour Luc Legendre, vocation à sensibiliser à la pêche durable et à la préservations des espèces. C’est pourquoi il refuse de faire le gyotaku d’un poisson qui ne serait pas consommé, et réalise de plus en plus d’empreintes appartenant au vaste patrimoine végétal de La Réunion : lianes de vanille Bourbon ou de « chouchou » (christophine), branche de giroflier ou de letchis, grappes de baies roses, canne à sucre, tiges et feuilles de bambou, géranium rosat… et même du shiso (photo). Comme les profondeurs de l’Océan indien, l’exubérante nature réunionnaise est une source d’inspiration inépuisable pour les poètes-artistes tels que Luc Legendre qui savent poser sur ce qui les entoure (plantes, poissons, êtres humains…) un regard curieux, humble et bienveillant. En 2022, un Prix lui a été décerné à Osaka par l’association Takuseikai, présidée par le maître Masatsu Matsunaga.
« Je connais de Luc son engagement pour la transmission des savoirs, sa passion pour le respect du produit, dit de lui le chef Thierry Marx. En intégrant le Gyotaku à ses pratiques, il n’est plus seulement un artisan, il est [quoi qu’il en dise] un artiste incontesté. »
Luc legendre (@bzh_gyotaku)
© Texte et photos : Sophie Gallé Soas